Depuis plus de 40 ans, la Maison distille une philosophie quasi éthologique du café. Anne Caron, qui succède en 2005 à son père à la tête de l’entreprise, le qualifie en effet de « produit vivant ». Retour sur cette aventure familiale entre terre et tasse.
Les cafés Caron sont distribués selon une stratégie multicanale : peut-on toujours dire que la DA reste votre coeur de métier ?
Absolument. C’est par là que nous avons commencé, en mettant notre savoir-faire de torréfacteur au service des entreprises. Cela représente aujourd’hui une part significative de notre chiffre d’affaires.
N’est-ce pas nager à contre-courant que de proposer des cafés de spécialité en mode automatique ?
L’opinion publique aurait tendance à affirmer que le café délivré par une machine automatique est mauvais. Je répondrai que cette idée reçue provient surtout des réglages, souvent négligés ou mal maîtrisés. En ce qui nous concerne, cette partie technique est primordiale, a fortiori du fait que nous torréfions des cafés de spécialité.
La DA s’inscrit dans un mouvement de premiumisation : pensez-vous que cela permettra de désamorcer la mauvaise image dont elle est victime ?
La DA est une formule parfaite pour le monde de l’entreprise : dans un seul appareil, on cumule le café en grains, le lait, le sucre, la touillette, le gobelet, etc. La prestation est globale, rapide, efficace. Selon moi, c’est à la profession de se défendre et de redonner au métier ses lettres de noblesse.
Comment ?
Grâce à la formation et à la communication. Les acteurs du café, que ce soit en CHR ou en DA, ne sont pas assez sensibilisés à la valeur du produit en lui-même, ni au travail qu’il engage, de sa culture au résultat en tasse. Ils se sont éloignés du produit. Cela va à l’encontre de la demande des consommateurs, très sensibles au contraire à la traçabilité, à la naturalité et à l’aspect éthique de ce qu’ils achètent. Nespresso, en marketant le café comme un produit de luxe, a accentué la curiosité du grand public pour ce produit, et a rehaussé les standards d’exigence. On n’a plus envie de subir le café. Pourtant, je vois encore trop peu d’établissements travailler de grands crus. Ainsi, force est de constater que les professionnels réagissent plus lentement que les consommateurs.
En 2015, vous avez dédié un espace à la formation au sein de votre boutique parisienne. Diriez-vous que c’était un positionnement avant-gardiste ?
Absolument. Il y a quatre ans, les métiers de torréfacteur et de barista n’étaient pas aussi valorisés qu’aujourd’hui. En effet, les diverses compétitions, dont le concours du MOF, ont très récemment mis les projecteurs sur ces savoir-faire. Avec le centre qui s’inscrit dans notre démarche haut de gamme initiale, nous avons commencé très tôt à former des professionnels afin qu’ils soient en mesure de mettre en valeur nos produits, en HoReCa comme en DA. Nous ne pouvons plus nous permettre de servir du café sans le présenter un minimum au consommateur. Le terroir, le profil organoleptique, la méthode d’extraction sont autant d’informations qui méritent de faire partie intégrante du service. Dans le cadre de la restauration et de l’hôtellerie, pourquoi ne pas faire bénéficier l’oenologue d’une formation complémentaire pour lui permettre de présenter le café comme il présenterait le vin ?
Quelles seraient les conséquences sur le marché si le café est un jour valorisé tel que vous le décrivez ?
On peut effectivement se poser la question du prix. L’impact ne serait pas prohibitif, on peut déjà le vérifier aujourd’hui. En HoReCa et en DA, entre un café d’exception et un café lambda, la différence de prix est de l’ordre de quelques centimes. Un café de très bonne qualité reste tout à fait abordable si l’on considère les heures de travail, l’énergie, l’investissement et les savoir-faire qu’il mobilise. De plus, les consommateurs sont encore une fois plus avisés, et beaucoup plus soucieux des conditions de production et de transformation des produits. La question du prix est moins déterminante qu’à l’époque.
Est-ce un constat que vous vérifiez dans votre boutique par exemple ?
Tout à fait. Si nous traitons le café comme un produit précieux, cela n’en fait pas un produit réservé à une clientèle particulièrement aisée. Nous voyons tout type de profils dans notre boutique : le café touche tout le monde. Le seul dénominateur commun reste la passion pour ce produit ancré dans la terre et les hommes qui le travaillent, je dirais même son authenticité. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que les industriels répondent à cette prise de conscience éthique et équitable par un marketing axé dans ce sens. C’est une tendance qui permet de faire connaître le café au plus grand nombre, au travers d’un discours qui met réellement en valeur tous les métiers qui y sont associés. Chaque coffee shop indépendant, les enseignes et les industriels ajoutent leur pierre à l’édifice. L’engouement que le café génère n’est donc pas près de s’arrêter.