Certains torréfacteurs de qualité ont vu leurs ventes bondir sur internet pendant le confinement ; quand les importateurs ont quelques inquiétudes bien légitimes pour l’amont de la chaîne et les producteurs de cafés de qualité en particulier.
« Pendant le confinement, les ventes de nos cafés en ligne ont été multipliées par cinq. Si nos ventes sont revenues quasi à la normale, cela nous a sans conteste permis de limiter la casse », commence Hippolyte Courty, fondateur de l’Arbre à café. Même son de cloche chez Christophe Servell pour Terres de café : « Nous avons triplé nos ventes en ligne pendant le confinement : nos clients en boutique se sont quasiment tous reportés sur le site, et nous avons bénéficié d’une part importante de nouveaux clients. Le plus intéressant est que 80 % des achats se sont portés sur nos plus beaux cafés, essentiellement des 88+. Cela a clairement permis de sauver des emplois, voire l’entreprise et de ne pas trop impacter notre trésorerie ». Pour Aleaume Paturle, créateur de Café Lomi dont les cafés étaient massivement présents dans le réseau CHR parisien, les conséquences se font plus durement ressentir : « Nous avons perdu 95 % de notre chiffre d’affaires pendant 2 mois suite à la fermeture de tout le réseau CHR parisien ; malgré les aides comme le chômage partiel, nous avons dû restructurer l’entreprise en réduisant notre personnel d’environ 30 % ; maintenant, nous organisons la croissance pour ramener de la valeur et être plus solide demain ». Parmi les chantiers de travail pour Café Lomi : accélérer la diversification régionale amorcée en janvier dernier et développer une clientèle de bureaux pour diversifier les réseaux de distribution, tout en étant réalistes. « Nous n’attendons pas un sursaut d’activité, et savons d’ores et déjà que la reprise sera douce avec comme nouvelle référence un chiffre d’affaires à 60-70 % pendant plusieurs mois. Je n’ai qu’un seul regret : ne pas avoir diversifié nos réseaux plus tôt », confie ce dernier. Côté consommation, c’est bien le réseau hors domicile (CHR) qui a été touché de plein fouet par la crise de la Covid bien plus que le commerce de proximité, la vente en ligne ou la GMS. Avec, pour le CHR, quelques disparités selon les villes : « Bordeaux a par exemple retrouvé un niveau de consommation quasi normal ; il n’y a pas de touristes, mais les salariés sont revenus dans les bureaux, alors qu’à Paris, le télétravail semble encore être de mise jusqu’en septembre voire octobre », affirme Angel Barrera, responsable du sourcing chez Belco. En GMS par contre, la consommation de café dit de commodité – par opposition au café de spécialité – a quant à elle explosé avec des consommateurs confinés qui prenaient volontiers 3 ou 4 cafés à domicile plutôt qu’un seul. Du côté des producteurs, certains négociants et importateurs ont purement et simplement annulé leurs engagements d’achat et des disparités se font jour entre pays producteurs. Avec des cafés importés – par ordre d’importance – du Brésil, d’Ethiopie, de Colombie et d’Amérique centrale, Angel Barrera assure que Belco a maintenu tous les engagements d’achat tout en devant néanmoins niveler les expectatives d’achat pour la suite ; il est aussi en mesure de tirer quelques enseignements de cette crise : « Dans les pays producteurs de café, il y a eu différents types de réaction et il apparaît aujourd’hui que l’Amérique latine, qui a laissé le virus circuler, particulièrement au Brésil ou au Mexique, connaît plus de dégâts que l’Afrique, notamment à cause d’une population certes jeune mais très touchée par des problèmes de surpoids et d’obésité (1). Le Pérou apparaît aussi comme très fragilisé avec une récolte de café au moment même où la pandémie explosait, et des producteurs qui ne pouvaient plus se rendre en ville pour vendre leur production. Enfin, d’autres incertitudes pèsent sur le Pérou et la Colombie qui comptent une proportion importante de cafés certifiés (notamment en bio) et doivent renouveler leurs certificats à la rentrée ; si le Pérou a effectué un certain nombre de procédures à distance, cela sera plus compliqué en Colombie où certaines populations indigènes se méfient de la venue de personnes de la ville en temps de pandémie. Enfin, le Costa Rica et le Panama ne pourront pas avoir recours à une main-d’oeuvre étrangère pour les récoltes, ce qui est aussi un motif de crainte ». S’ajoutent deux appréhensions plus générales : comment les pays les plus touchés comme les Etats-Unis ou l’Amérique latine vont-ils pouvoir se relever ? Et puisque les Etats-Unis sont les plus gros consommateurs de cafés de spécialité au monde, quels impacts cela aura-t-il sur les producteurs, et comment ces derniers pourront-ils se passer, demain, de leur plus grand partenaire ? Alors, cette crise sanitaire pourrait-elle aussi impacter positivement nos manières de consommer et nous enjoindre à mieux acheter demain ? « Le confinement a peut-être permis aux consommateurs de réfléchir à leurs actes d’achat, cafés compris, même si globalement, je ne suis pas très optimiste pour la filière, le négoce et la grande distribution qui imposent toujours aux producteurs des prix dérisoires interdisant aux producteurs de respecter la nature et les hommes », regrette Christophe Servell (Terres de Café).