Au-delà d’un éventuel effet de mode et d’un plaisir gustatif certain, les cafés de spécialité révèlent une nouvelle approche du café beaucoup plus en phase avec les enjeux sociaux et environnementaux.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? Si le café est pour beaucoup synonyme de pause et de partage, depuis quelques années déjà, un mouvement de revalorisation en provenance des Etats-Unis s’accompagne de nouvelles manières de le consommer et de la montée en puissance des coffee-shops où il fait bon consommer des cafés dits de spécialité (« Specialty Coffee ») proposés en espresso, boissons lactées ou selon différentes méthodes d’extraction douces. Mais qu’appelle-t-on café de spécialité ? « Il s’agit d’abord d’un café qui a obtenu une note supérieure à 80/100 (sur une échelle de 50 à 100) aux fameux « cupping » (1) ; à la différence d’un café de commodité avec beaucoup de défauts, il aura un goût équilibré, floral ou fruité, avec une acidité remarquée, » commence Aleaume Paturle, fondateur de Café Lomi. Contrairement à un café générique, les cafés de spécialité mono-origine permettent de voyager dans différents terroirs du monde à travers des notes acidulées, fruitées, florales, chocolatées, épicées, selon le terroir, l’altitude, le processus de récolte et de séchage des grains. Deuxième spécificité, « pour qu’un café dépasse les 80, il doit être traçable : pas seulement le pays, mais aussi la ferme, la parcelle, la variété, le type d’extraction des grains de café, jusqu’au nom du fermier. A l’origine, un café de spécialité renvoie à un café fait de manière spéciale par une personne au savoir-faire singulier, » éclaire Christophe Servell, créateur de Terres de café qui vend presque 200 T de café de spécialité par an dont 40 % en volume de cafés de forêt (2) et qui souhaite à terme évoluer vers un sourcing entièrement agroforestier. Faire de manière spéciale signifie dans le pays producteur, savoir sélectionner les cerises de café, vérifier leur bonne maturité, et opérer le séchage des grains de café selon différentes méthodes (la méthode sèche dite « nature », la méthode humide ou le lavage, la méthode semi-humide, ou le « Honey-Process »), autant de paramètres qui auront de très fortes incidences sur le goût.
Traçabilité et prix juste
Tout café de spécialité voyage donc avec un passeport très précis de ses origines, à la différence du « petit noir » générique et a été distingué pour des qualités organoleptiques remarquables ; avec une autre différence majeure, celle de ne pas passer par la bourse mondiale du café et d’être acheté à un prix nettement supérieur directement au producteur ou à une coopérative de production. « Le grand avantage des cafés de spécialité, c’est de pouvoir rémunérer les producteurs au minimum deux fois le prix du marché du café. Si l’on veut encore boire du café à l’avenir, il faut respecter la nature, les arbres mais aussi les gens qui vivent du café pour ne pas qu’ils arrêtent et passent à des cultures plus lucratives comme la coca, le maïs, l’avocat, ou qu’ils soient obligés de partir à la ville. Nous devons faire en sorte de développer cette filière parce qu’elle est basée sur un prix d’achat inhérent à la qualité et que la qualité est le premier critère de durabilité, » clame Christophe Servell. Si la filière Specialty correspond aujourd’hui à environ 3 à 4 % des volumes en France, elle représente déjà 50 % du marché en Corée du Sud. Et les coffee-shop ne sont pas les seuls à en proposer ; Segafredo, par exemple, souhaite se positionner sur ce marché, « en tant que leader mondial en matière de café pour le bar, nous souhaitons montrer notre capacité à aller chercher des cafés de spécialité, ce qui n’est pas l’apanage des petites entreprises de torréfaction, » éclaire Hugues Stevenson, Directeur marketing de Segafredo Zanetti France. Une fois arrivé dans les pays consommateurs, le café vert sera torréfié, étape majeure de la transformation du café, avant d’être servi. La grande majorité des coffee-shop opèrent aujoud’hui eux-mêmes cette transformation fondamentale car elle est une étape majeure pour se différencier et valoriser une identité singulière. A la différence des industriels qui mènent des torréfactions flash en partie pour masquer les défauts du café, la filière Specialty elle, prend un soin maniaque à ne pas « maquiller » ses cafés pour respecter le travail du producteur, et s’appuie le plus souvent sur un logiciel ultraprécis capable de suivre en temps réel la manière dont le grain de café prend la chaleur. « Nous cherchons une torréfaction à la fois légère pour découvrir les qualités du café, mais pas trop non plus pour éviter que l’acidité soit trop prononcée », explique Aleaume Paturle. « Notre objectif, c’est de faire ressortir le maximum d’aromatique dans nos cafés, sans trop les cuire pour ne pas casser et brûler le café, ni les sous-cuire pour ne pas parasiter le goût avec des notes végétales. Pour torréfier, nous prenons en compte le terroir et la méthode d’extraction du café (filtre, espresso…) ; pour un café filtre par exemple, nous allons développer les notes florales et le fruitées ; pour un espresso, le sucré pour amener du velouté », détaille Christophe Servell. Chez Café Lomi, on insiste sur l’importance de travailler de très bons cafés tout en les adaptant à l’intensité au palais gustatif français porté vers la rondeur et les notes de chocolat, peu d’acidité et un zeste d’amertume.
Cafés de spécialité et matériel
Puisque le café est un produit semi-fini, au Barista ensuite de le rendre « spécial » jusqu’à la tasse en choisissant d’abord le mode d’extraction le plus approprié. Alors comment préparer dans les règles de l’art un café de spécialité ? Ces cafés particuliers ont-ils une influence sur le choix du matériel et la manière de les préparer ? Il est intéressant de constater que les coffee-shop, qui ont la maîtrise de leurs approvisionnements en cultivant une relation directe et parfois privilégiée aux producteurs, proposent aussi pour la plupart une sélection de matériel et s’appuient sur des structures de formation à destination de leurs clients, à l’instar de Café Lomi qui accompagne les nouveaux Baristas dans leurs projets sur-mesure, de Cafés Richard à travers son Académie du café ou de Segafredo à travers sa Scuola. « On ne peut pas préparer un bon café sans un bon produit d’abord, mais aussi un bon équipement et une formation, c’est un triptyque indissociable », affirme Aleaume Paturle. « Les cafés de spécialité ont fait naître un écosystème qui passe par le matériel, notamment l’arrivée de moulins et de machines de torréfaction beaucoup plus précis pour cuire le grain de café à coeur. L’évolution du matériel et l’investissement en R&D permettent vraiment d’obtenir de super résultats », affirme de son côté Christophe Servell. Nicolas Poirot-Crouvezier, Gérant de Nuova Distribution France (Victoria Arduino et Simonelli), insiste lui sur plusieurs paramètres techniques nécessaires à la réussite d’un café de spécialité qui ont présidé à la création de la nouvelle Eagle One de Victoria Arduino :une régulation de température de l’eau précise et constante, une production de vapeur importante et bien sèche pour réaliser les boissons lactées et s’adonner au “Latte Art???, une ergonomie bien pensée pour minimiser la pénibilité, un design personnalisable, de la compacité et une écoresponsabilité de plus en plus indispensable. « Chez Segafredo, nous mettons l’accent sur les machines à café pour faire revenir le geste du barista et notre nouvelle machine à levier la Leva permet à la fois une extraction optimale et un résultat plus aromatique tout en remettant au goût du jour le geste du levier », éclaire Hugues Stevenson.« Rien ne sert d’avoir une Formule 1si on ne sait pas la conduire ! En achetant un café le double du prix, ce serait dommage de ne pas investir aussi dans la formation du personnel et la connaissance de l’entretien des machines, mais cela vaut presque autant pour un café classique que pour un café de spécialité », pointe quant à lui Michael Mc Cauley chez Cafés Richard.
Boire un café engagé
Hormis le matériel, les cafés de spécialité transforment-ils aussi la teneur de la pause-café en hôtellerie, restauration, cafés ? Oui, sans aucun doute. D’abord, ils remettent au premier plan les modes d’extraction doux comme le Chemex ou la cafetière Bodum qui permettent de découvrir plus facilement la richesse aromatique de ces cafés délicats. « Les consommateurs de cafés de spécialité ne passent pas forcément plus de temps à déguster leur café ; en revanche, ils peuvent échanger avec le barista sur le café, sa traçabilité, son goût, c’est la seule manière de convertir les gens. Le café, même de spécialité, ne doit surtout pas être un produit élitiste », note Aleaume Paturle, fondateur de Café Lomi. En plus de délivrer les informations relatives aux cafés dégustés (origine, méthode de séchage, extraction, qualités organoleptiques …), voire à donner des conseils de recettes à domicile, le Barista peut aussi expliquer pourquoi il l’a choisi et parfois évoquer un projet sociétal. Depuis 2013, Cafés Richard propose par exemple un « Orang-outan coffee » de Sumatra, un grand cru produit dans le cadre d’un programme de préservation de l’habitat des orang-outans et de leur réintroduction dans la nature. Cette proximité avec les producteurs donne aux cafés des racines humaines et environnementales que le Barista peut ensuite communiquer en salle. Ainsi choisir un café de spécialité, c’est parier sur un café plus qualitatif, mais aussi sur un café plus traçable ; pas un hasard que beaucoup de labels se soient développés ; bien sûr le label bio, mais aussi le label commerce équitable ou le double label (bio et commerce équitable), la biodynamie plébiscitée par Hippolyte Courty (L’arbre à café) et aussi certains pictogrammes comme eux développés par Terres de café comme le café de forêt et bientôt un label « durable » à destination des « producteurs qui ne peuvent être en agriculture biologique, mais s’engagent sur des traitements uniquement curatifs et sur d’autres actions comme la plantation d’arbres », explique Christophe Servell.