Si l’acception commune du terme « distribution automatique » renvoie aux machines à café et aux distributeurs de snacks, de très nombreux concepts voient le jour pour utiliser la distribution automatique comme le prolongement ou le remplacement d’un magasin de détail voire d’une prestation de service. Au-delà de procurer des revenus à leurs opérateurs, cette forme de distribution automatique a aussi un rôle sociétal marqué.
Qu’il s’agisse de produits optiques, de cosmétiques et de parapharmacie, de produits agricoles, de pain ou de plats cuisinés, des entrepreneurs individuels ou des grosses sociétés ont opté pour la distribution automatique pour vendre leurs produits, avec un objectif commun : mettre leurs produits ou services à la disposition des consommateurs là où ils se trouvent et sans l’assistance de personnel. C’est la notion de « Unattended » des Anglo-saxons. Un domaine où la seule limite est l’imagination des créateurs de ces nouveaux commerces… et la réalité du marché, car parfois les atterrissages sont douloureux.
Un marché informel
Une des caractéristiques de ce marché est qu’il est difficilement cernable, quantifiable, côté entrepreneurs car la demande est à la fois aléatoire et opportuniste. Difficulté également pour identifier l’offre, les fabricants et importateurs des matériels se font très discrets. Pour répondre à des demandes aussi diverses que variées, on va trouver trois catégories d’automates : le sur-mesure, les casiers et enfin les automates spécifiques, comme les DA de pain ou de pizzas, conçus parfois comme de véritables terminaux de cuisson. Plusieurs entreprises oeuvrent sur le secteur. Citons AST International, qui travaille exclusivement sur des projets sur-mesure et qui a lancé une marque il y a six mois, le Casier Français, seule entreprise à fabriquer en France ses automates ; Filbing, spécialiste des casiers et importateur de son matériel ; l’Italien Providif, aussi fabricant de casiers ; Le Distrib, qui vend des casiers et des distributeurs de pain et de pizzas. Dans le domaine du pain, plusieurs fabricants et importateurs sont présents en France, avec des automates très différents. D’un côté, des distributeurs de baguettes cuites, de l’autre des automates intégrant un four afin de cuire le pain à la demande. Dans le premier cas, nous avons identifié MaBaguette et le Distribpain. Dans le second, deux entreprises seulement proposent un véritable terminal de cuisson. Il s’agit de Pani Vending, précurseur dans le domaine et de Le Compagnon du Boulanger. Ces deux entreprises sont françaises et produisent en France. En revanche, si le marché est informel, le développement du circuit court lui promet un avenir radieux, notamment dans les automates à casiers où le bouche-à-oreille fonctionne à plein, nombreux sont les agriculteurs qui ont franchi le pas et qui évangélisent leurs confrères. Idem pour les boulangers, où la disparition des boutiques, notamment en milieu rural, crée les conditions du succès pour ces machines à l’investissement conséquent.
Le sur-mesure pour les projets originaux
AST International est le spécialiste du développement d’automates de vente sur-mesure. On a d’ailleurs pu voir dans DA MAG de nombreux exemples des réalisations d’AST International : très récemment Ma Mie Vending, également dans la restauration Fitness Eat, mais aussi Nailmatic, Sephora, Eyes Corner… A chaque fois des projets différents, partant de l’idée d’un entrepreneur. Mais le développement a un coût d’entrée qui peut refroidir certaines ardeurs ou projets bancals : « Le développement sur-mesure est une toute autre problématique. Ici, on met en jeu les compétences de mécaniciens, d’automaticiens et d’informaticiens, plus un bureau d’étude pour mener la R&D sur le projet. Concrètement, il faut compter au moins 20 000 € pour étudier un projet et sortir un prototype », expose Manuel Moutier, le nouveau dirigeant d’AST International. Moyennant quoi, le président d’AST est très attentif à la qualité des projets et à l’origine professionnelle du porteur de projet : « Soyez du métier si vous voulez vous lancer, conseille Manuel Moutier, il faut vraiment savoir de quoi on parle pour définir un modèle économique viable ».
En conséquence, lorsqu’un candidat se présente, AST lui transmet un modèle de cahier des charges en 60 questions qui vont permettre de cibler l’état d’avancement du projet, celui de la réflexion du porteur voire de ce qu’il imagine en matière de visibilité promotionnelle, d’écran, de monétique, etc. Après cette première étape, si le projet mérite d’aller plus loin, le porteur est invité à se rendre chez AST à Ennevelin (Lille) pour peaufiner le cahier des charges, tout en distinguant ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. La phase 3 correspond au prototypage avec parfois plusieurs versions, jusqu’à la phase industrielle.
Ces précautions quant à la viabilité du projet sont essentielles car parfois, il y a loin de la coupe aux lèvres. Par exemple, Kusmi Tea (conception US) a cessé la vente en DA, et Sephora n’a commandé qu’un unique exemplaire au lieu des quarante prévus à l’origine. Parallèlement et heureusement, les succès sont nombreux. Nailmatic a revu sa machine et démultiplié le concept, tout comme d’ailleurs Eyes Corner, qui n’a pas renouvelé l’expérience d’un DA autonome mais a développé des automates à intégrer à une boutique, à l’instar des DA de parapharmacie intégrés aux pharmacies, mais en plus évolués : connectés, ils permettent de déposer une commande dans l’automate, d’envoyer un code par sms au client qui viendra la récupérer en dehors des heures d’ouverture. Malin et efficace. Enfin, on notera que ces expériences de DA reposent à la fois sur un fort impact visuel et sur un marketing de pointe.
Du simple casier au Clic & Collect
Tout le monde a lu dans la presse un reportage sur un agriculteur qui vendait ses propres produits dans un distributeur automatique à casiers, des huîtres aux pommes de terre en passant par les oeufs et le maroilles. On a l’impression que ce sont des expériences sporadiques et que ce marché est anecdotique. Non seulement il y a un réel marché, mais en plus c’est un marché en croissance forte. Les produits agricoles en circuit court ont le vent en poupe, les consommateurs veulent retrouver le goût authentique des produits, autant de facteurs qui soutiennent le développement de ce type de distribution automatique. « Comparé à la distribution automatique classique, avec son parc de 600 000 machines, le casier est épiphénoménal, c’est clairement un marché de niche. Nous y avons réfléchi et nous nous sommes positionnés sur des segments alternatifs auxquels nous apportons des solutions innovantes et pragmatiques. Pour revenir aux casiers, il y a un potentiel énorme sur ce marché avec de fortes progressions à prévoir. Tous les jours nous recevons 5 à 10 demandes émanant d’agriculteurs. Des maires nous appellent pour installer des casiers dans leur ville ou village et se chargent en plus de trouver les fournisseurs qui approvisionneront l’automate », analyse Manuel Moutier. Une des clés du succès des produits Le Casier Français est l’interface connectée. Les agriculteurs étant par définition largement occupés par leur exploitation, la connectivité leur permet d’être alertés sur leur smartphone d’une rupture ou d’un incident de fonctionnement, et donc d’intervenir à propos sans perte de temps. C’est justement cette connectivité qui a servi de base aux projets « alternatifs » du Casier Français. Ainsi, ces développements pour SODEXO où les clients peuvent passer une commande anticipée, recevoir un code et le jour J, ouvrir le casier qui contient leur commande avec le code reçu plus tôt. Dans un tout autre domaine mais sur le même principe, TIBCO, une société de maintenance informatique, avait un problème de mise à disposition de consommables et petit matériel chez un de ses clients, avec de surcroît une contrainte de prêt et de consigne à gérer. La solution a consisté à placer un automate à casiers et un DA à spirales, avec une solution de gestion informatique intégrée. Plus étonnant encore, Keysinbox. Keysinbox est une start-up de conciergerie automatique qui met à disposition un distributeur intelligent pour la prise et le retour des clés d’appartements ou de maison en location saisonnière. La société a placé à l’aéroport de Nice un ensemble de 1 000 casiers et vend des prestations de service périphériques comme la livraison ou la récupération de clés, en plus de la location des casiers. Une première vouée à être démultipliée en France et vraisemblablement à l’étranger.
Point chaud automatique
Même si, comme on l’a vu plus haut, il existe deux sortes de DA de pain, nous nous intéresserons ici aux modèles qui intègrent un four et qui sont de véritables points chauds intégrés, parfaitement autonomes. Chez Pani Vending, le précurseur des points chauds automatiques, la machine est capable de cuire des baguettes et de les acheminer vers la vitrine. Le pain peut-être précuit et surgelé ou frais. Notons que 180 baguettes peuvent être stockées jusqu’à 72 heures en froid positif. La programmation de la cuisson est possible, permettant de déclencher une production en fonction d’un niveau de stock et en quelle quantité ou de remplacer chaque baguette vendue. D’une manière générale, la télémétrie permet à l’exploitant de gérer de nombreux paramètres à distance. Enfin, les machines délivrent un pain de qualité, croustillant et chaud car cuit quelques instants avant la vente. Une des conditions du succès d’ailleurs, car si le pain n’est pas bon, la machine deviendra au mieux une solution de dépannage pour les consommateurs alentour. Les aspects économiques de ce marché sont liés à un contexte économique tendu, comme l’explique M. Jean-Louis Hecht, maître-boulanger lui-même et créateur de Pani Vending : « Aujourd’hui, une structure avec une vendeuse, un pâtissier et un boulanger doit faire 400 K€ de chiffre d’affaires pour vivre. Les petits boulangers vont disparaître, sauf s’ils ont un complément d’activité et leurs affaires ne se vendront pas. En Alsace, beaucoup de boulangeries de petits villages ferment sans repreneur ». Mais comme les Français ne peuvent se passer de leur pain, il y a de l’avenir pour ces points chauds automatiques. Pour investir dans un automate Panivending, l’acquéreur devra débourser environ 45 000 € selon le modèle. Pour le rentabiliser, il lui faudra vendre au moins 50 baguettes par jour pendant la durée du crédit, 5 ou 7 ans. En plus du crédit, il faut prendre en compte une consommation électrique de 45 à 50 KW par jour, soit environ 200 € par mois, ce que M. Hecht évalue à 5 % du CA sur la base de 100 baguettes/jour. Au-delà de la période de crédit, la rentabilité peut s’avérer conséquente : « Notre champion des ventes vend en moyenne 8 500 baguettes par mois, ce qui équivaut à un chiffre d’affaires de 90 000 € par an, avec une machine », témoigne M. Hecht. Si les boulangers constituent l’essentiel des clients, « des mairies nous téléphonent pour que l’on installe une machine dans leur commune. Si les perspectives d’activité sont satisfaisantes, nous trouvons un boulanger pour exploiter le site », souligne M. Hecht. Le potentiel de ce marché est important. Jean-Louis Hecht souhaiterait aussi implanter ses machines sur les aires d’autoroutes et dans les gares, « Il y a du potentiel partout où les gens mangent », constate-t-il.
Un rôle sociétal fort
La distribution automatique utilisée comme des commerces autonomes permet de lutter contre la désertification des campagnes et la disparition des petits commerces. Manuel Moutier d’AST et M. Hecht de Pani Vending assurent recevoir régulièrement des appels de mairies pour remplacer un commerce et éviter aux habitants de trop longs et fréquents déplacements pour leurs achats quotidiens. Certaines mairies fonctionnent comme des coopératives, investissent dans les casiers et permettent aux agriculteurs locaux d’y vendre leurs produits en circuit court et donc de leur procurer un revenu sans intermédiaire. Et d’une manière générale, cela fonctionne plutôt bien. Catherine Bacquaert, qui a créé la Terferme (cf. encadré), a ouvert en juin dernier un espace de vente de produits agricoles disposés dans des casiers automatiques. Sa motivation dans cette entreprise a une dimension éthique, « On est là pour nourrir les gens ». Quant à celle des consommateurs, ils sont heureux de retrouver le goût des produits et d’avoir un contact avec les agriculteurs. Ils viennent d’ailleurs de relativement loin, certains faisant jusqu’à dix kilomètres pour venir à la Terferme. Elle souhaite aussi aller plus loin dans la démarche sociétale : « Je voudrais, d’ici deux à trois ans, accueillir des groupes scolaires et des touristes pour leur montrer la réalité de la vie agricole ».
Le rôle de la Terferme est également économique car elle procure des revenus complémentaires significatifs aux agriculteurs, d’autant que le succès est au rendez-vous. A telle enseigne que « La distribution automatique est devenue une activité à temps plein, on passe notre journée à recharger. Je vais créer un emploi, ce qui va me permettre de me consacrer à l’ouverture d’un autre comptoir », se réjouit Catherine Bacquaert. Qui prévoit aussi l’adjonction d’un module supplémentaire à la Terferme, dédié aux gros conditionnements, une demande de la clientèle qui a surpris la créatrice du concept.
Unattended
Le fait que la distribution automatique demande moins de personnel autorise de nombreuses activités dans des conditions de rentabilité suffisamment bonnes pour les rendre pérennes là où un commerce traditionnel ou plus simplement l’emploi de main d’oeuvre n’est pas envisageable. En outre, la connectivité des automates démultiplie les applications, pour apporter des services et de la personnalisation, car même dans une activité automatique, le client attend un minimum de service.